CHAPITRE 17

 

À la fin de l’été, toujours pas trace de ravisseurs présumés. Nurevin alla chercher Brestolli à son auberge, qui confirma avec véhémence ce qu’il avait entendu. Une visite des Chefs du Weyr de Benden au Seigneur Sigomal obtint la relaxe des harpistes « contagieux », et Maître Sebell dit au Seigneur de Bitra que, malheureusement, il ne disposait d’aucun remplaçant pour un Fort de cette importance. Plusieurs autres Ateliers rappelèrent leurs maîtres, ne laissant à Bitra que des apprentis et compagnons d’origine locale.

Des rappels semblables eurent lieu à Nerat, mais pas à Keroon, car, malgré ses protestations de plus en plus bruyantes contre tous les progrès émanant de l’« Abomination », le Seigneur Corman n’empêchait pas ses ateliers de travailler à leur guise ni de remplir leurs devoirs traditionnels envers son Fort. Et il donna à entendre qu’il se distanciait désormais de Sigomal et Begamon.

Toutes les Dames de Weyr exigèrent la plus grande vigilance de leur reine, et tous les Harpistes prêtèrent l’oreille aux moindres rumeurs d’activités clandestines. Les Ateliers majeurs doublèrent discrètement les mesures de sécurité. Et les chevaliers-dragons continuèrent à s’entraîner à l’extérieur du Yokohama, du Bahrain et du Buenos Aires. Hamian et ses équipes travaillaient nuit et jour pour fournir des combinaisons spatiales aux chevaliers et une sorte de gant pour protéger les pattes des dragons du froid brûlant du métal dans l’espace. Oldive, Sharra, Mirrim, Brekke et les autres travaillaient sous la direction de Siav à analyser et décrire le curieux organisme appelé Fil – ou plutôt, qui devenait un Fil en plongeant vers sa perte dans les cieux de Pern.

Sharra essaya d’expliquer à Jaxom la tâche que Siav leur avait assignée, autant pour renseigner son compagnon que pour éclaircir les choses dans sa tête.

— Nous avons eu un moment merveilleux le jour où Mirrim a découvert les perles sous le microscope. Siav était très excité, lui aussi, car il est certain que ces perles renferment le code génétique des Fils.

Elle sourit au souvenir de ce moment de triomphe.

— Le microscope était réglé sur le plus fort grossissement, et nous avons tous vu ces perles minuscules enfilées sur ces longs fils. Pas les ressorts, mais les fils, qui sont enroulés très serré dans un volume pas plus grand que le bout de mon doigt. Siav dit que ces perles se servent du matériau des ovoïdes pour se reproduire. Ce qu’il veut maintenant, c’est qu’on découvre des bactériophages pour infecter les perles puis qu’on sélectionne celui qui se reproduira rapidement avant d’avoir épuisé le matériau des ovoïdes. C’est semblable à ce que nous avons fait quand nous avons isolé des bactéries dans les blessures, puis modifié leurs bactériophages symbiotiques pour qu’ils tuent leur hôte. Nos ancêtres faisaient des merveilles pour guérir. J’espère que nous pourrons faire aussi bien. Parce que les recherches actuelles pourraient guérir notre planète.

— Alors, pourquoi nos ancêtres ne l’ont-ils pas fait ? demanda Jaxom. Pourquoi nous ont-ils laissé ce travail ?

Sharra eut un sourire de fierté.

— Parce que nous avons des dragons pour remplacer les navettes sans carburant, des lézards de feu pour chiper des ovoïdes dans l’espace, et Siav pour nous guider. Même si nous ne comprenons pas toujours ce que nous faisons et pourquoi.

— Tu as dit que c’était pour modifier les symbiotes des Fils. Mais pourquoi cela est nécessaire après ce que les dragons vont faire, c’est ce que je ne comprends pas.

— Siav hait les Fils autant qu’une machine est capable de haïr, dit Sharra. Il hait ce qu’ils ont fait à ses capitaines et à l’Amiral Benden. Il hait ce qu’ils nous ont fait. Il veut être sûr qu’ils ne nous menaceront plus jamais. Il veut les tuer dans le Nuage d’Oort. Il a baptisé son projet « Overkill ».

— Il est plus vindicatif que F’lar, dit Jaxom, stupéfait.

— Je ne suis pas sûre que nous pouvons réussir, soupira Sharra. Tout est si compliqué. Et notre compréhension est si limitée. Siav est peut-être une machine, mais c’est moi qui ai l’impression d’en être une à faire tout ça sans savoir pourquoi.

Trois jours plus tard, elle avait retrouvé le moral, car Siav avait découvert le vecteur approprié.

— Il dit qu’on a trouvé des formes de vie similaires en micro-gravité dans les ceintures d’astéroïdes, dit-elle à Jaxom. Les Fils ressemblent à un organisme qu’on trouve dans l’écologie du couple Pluton/Charon du système solaire de la Terre.

Perplexe, elle fronça les sourcils.

— Enfin, c’est ce qu’il dit. Et il appelle les ressorts des « zibidis ». Et c’est de ces « zibidis » que nous allons nous servir pour faire sauter notre parasite modifié, comme un virus, d’un ovoïde à l’autre… quand le parasite modifié ne sera plus un symbiote mais un destructeur ! Mais il faudra encore le cultiver !

Jaxom parvint à afficher un sourire suffisamment admiratif devant ces résultats.

— Qui sommes-nous pour contester un ordre de Siav ? Et après ?

— Eh bien, il fait rechercher par les lézards de feu des ressorts dans les flots d’ovoïdes. Parfois, ils sont incrustés à leur surface. Nous avons dû mettre neuf cellules réfrigérées en service pour les conserver et les infecter avec les marqueurs zibidis.

— Zibidis, les puces des Fils ! plaisanta Jaxom.

— En effet ce sont des parasites, et je voudrais qu’on puisse les modifier rapidement !

Elle avait découvert avec horreur des puces de chien sur son fils Jarrol.

— Ce sera mon projet prioritaire dès que nous aurons réalisé le plan de Siav !

— Si on y parvient jamais ! dit Jaxom.

Siav avait tant de projets en cours, à divers degrés d’avancement, qu’il se demandait parfois si tout serait terminé à temps pour le jour « J » qui approchait rapidement.

— Est-ce que tu auras le temps de m’amener sur le Yokohama demain avant d’aller combattre les Fils ? demanda Sharra.

— Je croyais que tu resterais ici quelques jours, grogna Jaxom.

— J’ai tout organisé pour la Fête avec Brand et ses aides, et tout est prêt pour nos invités. Mais nous en sommes à un stade critique des recherches, Jaxom… dit-elle, le suppliant du regard.

— Tu seras épuisée. Tu n’apprécieras pas la Fête…s’entendit-il dire.

Puis il l’attira dans ses bras, savourant la sensation de son corps contre le sien, l’odeur épicée de ses cheveux. Les Fêtes étaient toujours pour eux des moments privilégiés.

— S’il te plaît, Jaxom ?

— Simple mouvement d’humeur, ma chérie. Je n’aurai jamais le cœur de t’empêcher de faire ce qui te plaît.

— Quand tout ça sera terminé, ce sera merveilleux de redevenir nous-mêmes, non ? Tu sais, j’ai très envie d’une fille.

Souhait qu’il s’efforça de réaliser sur-le-champ.

La Chute fut sans histoire, bien que n’étant pas de celles où les boucliers des vaisseaux avaient taillé de longs couloirs vides de Fils. Puis Hamian fit savoir qu’il avait confectionné un nouveau gant que Ruth devrait tester en AEV. Ruth s’exécuta, déclara le gant efficace et confortable, et Jaxom transmit ce jugement à Hamian par l’intermédiaire de Siav. Pour une fois, Jaxom et Ruth étaient seuls dans la passerelle. Ruth, comme d’habitude, admirait la vue par la fenêtre.

— Siav, pourquoi êtes-vous si obsédé par ce projet zibidis ? demanda Jaxom. Sharra dit que vous l’avez baptisé Overkill. Pourquoi ne suffit-il pas de modifier l’orbite de L’Étoile Rouge ?

— Vous êtes seul ? demanda Siav.

C’était une question insolite, car généralement, Siav détectait toutes les présences.

— Oui, je suis seul. Vous allez me dire toute la vérité ? plaisanta Jaxom.

— Le moment en vaut un autre, répondit Siav, à la stupéfaction du jeune Seigneur.

— Ça n’augure rien de bon.

— Au contraire. Il faut que vous sachiez ce qu’on attend de vous depuis que cette installation a pris conscience des capacités inusitées de Ruth.

— Le fait qu’il sait toujours où et quand il est ? demanda Jaxom.

— Exactement. Une explication s’impose.

— Comme toujours avec vous !

— La désinvolture sert souvent à dissimuler l’appréhension. Mais ici, la franchise s’impose. Trois moteurs doivent exploser pour modifier l’orbite de L’Étoile Rouge qui est dangereuse pour Pern. Deux de ces explosions ont déjà eu lieu.

— Quoi ? s’écria Jaxom, se redressant et fixant son écran.

Comme vous le savez, les Archives de tous les Weyrs, Forts et Ateliers ont été présentées à cette installation et analysées. Deux petites entrées signalent une anomalie.

« D’après la position de L’Étoile Rouge au moment du débarquement de vos ancêtres, cette planète ne décrit pas l’orbite qu’elle devrait décrire actuellement. Des calculs répétés furent faits au cours du premier Passage par les capitaines Keroon et Tillek. Elle est peut-être excentrique, mais sa position présente diffère de celle qu’elle devrait avoir selon une extrapolation de ces calculs originels. Son orbite actuelle a subi un déplacement de neuf virgule trois degrés par rapport à son orbite originelle, et ne correspond pas à sa position extrapolée. Par conséquent, quelque chose a déjà altéré sa trajectoire. Ce raisonnement trouve sa justification dans deux références mineures découvertes dans les Archives d’Ista et de Keroon concernant les Quatrième et Huitième Passages, dont chacun a précédé un Long Intervalle. Durant chacun de ces Passages, de brillants éclairs ont été observés sur L’Étoile Rouge quand elle se trouvait à son apogée par rapport à Pern. Assez brillants pour être mentionnés.

Stupéfait, Jaxom battit des paupières, comme si cela devait l’aider à assimiler les paroles de Siav.

— Les deux cratères ?

— Votre perspicacité est grande.

— Ma peur également, Siav !

— Chez l’homme, la peur est preuve de sagesse : elle aiguise son instinct de conservation.

— Mais ce que j’ai ressenti en voyant le premier cratère, ce n’était pas de la peur. J’avais… comme l’impression d’être déjà venu en ce lieu ! J’ai écarté cette idée, la trouvant ridicule. Et pourtant, Siav, vous voulez me faire croire que j’y suis déjà allé !

— Vous n’êtes pas le premier à être déconcerté par le paradoxe temporel. Votre pressentiment de connaître ce cratère n’est pas fréquent, mais on trouve des incidents similaires dans les annales des phénomènes psychiques.

— Vraiment ? Pourtant, je ne suis pas sûr d’apprécier la situation dans laquelle vous m’avez mis – enfin, si je vous comprends correctement.

— Comment comprenez-vous ce qui vient d’être dit ?

— Que, d’une façon ou d’une autre, Ruth et moi, avec suffisamment de chevaliers-dragons pour accomplir cette tâche, nous avons remonté le temps avec un moteur que nous avons déposé dans cette Faille ? Où il a explosé pour former le cratère que j’ai trouvé lors de mon voyage initial sur l’Étoile Rouge, quelque mille huit cents Révolutions plus tard ?

— Vous l’avez fait deux fois. La deuxième se place il y a cinq cents Révolutions. C’est la seule explication possible. De plus, vous savez que vous l’avez fait.

— Je n’ai pas envie de la faire, protesta Jaxom, pensant à l’incroyable remontée temporelle à accomplir. Et si un accident survenait ?

— Conformément au paradoxe temporel, si un accident était survenu, vous ne seriez pas là, et trente ou quarante dragons manqueraient à cette époque.

— Non, c’est faux, dit Jaxom, s’efforçant de comprendre. Nous ne serions pas encore partis. Donc, nous serions encore là. Nous ne serons pas là si nous échouons après avoir tenté. Non, non !

— Vous êtes allé sur L’Étoile Rouge. Vous avez réussi, et chacune de ces explosions a provoqué un Long Intervalle – inexplicable autrement – préparant la planète à la dislocation orbitale finale.

— Pas si vite, dit Jaxom, brandissant l’index avec irritation. Les chevaliers-dragons n’accepteront jamais. La remontée temporelle a toujours été extrêmement dangereuse. Vous savez que Lessa a failli mourir en remontant à quatre cents Révolutions dans le passé. Et vous voulez nous envoyer à mille huit cents Révolutions en arrière ?

— Vous aurez des bouteilles d’oxygène, et vous ne souffrirez donc pas d’asphyxie comme elle…

Jaxom continuait à secouer la tête.

— Vous ne pouvez pas demander ça aux bronzes, même s’ils en sont capables. Je ne crois pas que F’lar se livre au voyage temporel. En fait, la seule que je connaisse à l’avoir fait avec certitude, c’est Lessa.

— Et votre Ruth. De plus, vous avez toujours été fier de la capacité de votre dragon à savoir où et quand il est…

— Oui, mais…

— Si Ruth sait où et quand il va – et des points de repères spécifiques sont disponibles – il peut fournir les coordonnées visuelles nécessaires.

— Mais je sais que les autres chevaliers-dragons n’accepteront pas…

— Ils ne le sauront pas !

Jaxom en resta sans voix.

— Comment, demanda-t-il enfin d’un ton patient et suave, pourront-ils ne pas savoir ?

— Parce que vous ne leur direz rien. Comme vous êtes déjà allé plusieurs fois sur L’Étoile Rouge et que le passage dans l’Interstice ne sera pas beaucoup plus long que ce qu’ils attendent, ils ne sauront pas qu’ils ont été transportés à mille huit cents Révolutions dans le passé en même temps que sur L’Étoile Rouge.

Jaxom rumina ces paroles, puis, prenant une profonde inspiration, il réalisa que, assommé par le choc, il avait cessé de respirer quelques instants.

Je crois que nous pouvons le faire, remarqua Ruth, avec plus de confiance que Jaxom n’en ressentait.

Jaxom se tourna vers son ami.

— Tu penses peut-être que c’est possible, mais moi, je veux en être absolument sûr. Maintenant, Siav, reprenons tout au début… Les autres chevaliers-dragons ne connaîtront pas l’époque de notre destination. Mais nous serons trois équipes, une pour chaque moteur…

— Hamian n’aura pas assez de combinaisons spatiales pour les trois cents chevaliers nécessaires au transport simultané des trois moteurs. Vous dirigerez deux des trois groupes. F’lar, comme prévu, commandera le troisième, le seul à déposer son moteur dans l’époque actuelle. Comme vous le savez, poursuivit Siav, coupant court aux protestations de Jaxom, les sites choisis ne sont pas en vue les uns des autres. F’lar pensera que vous êtes à un bout de la faille, N’ton à l’autre, et il ne saura pas ce que vous faites.

— Mais c’est impossible, Siav. Je ne peux pas être en deux endroits à la fois. Ni me livrer deux fois de suite à cette remontée temporelle. Ruth n’aura pas de bouteilles d’oxygène.

— Vous n’avez pas compris les implications du nombre insuffisant de combinaisons spatiales. Votre équipe devra ôter ses combinaisons et les passer aux membres de la seconde équipe. Cela devrait donner à Ruth le temps de recouvrer son énergie. Naturellement, vous devrez veiller à ce qu’il mange bien avant et après.

Je pourrais faire ça comme dit Siav, dit aimablement Ruth.

— Je n’ai pas encore accepté ! dit Jaxom, abattant ses deux poings sur la console avec tant de force qu’il se fit mal aux mains.

— Vous avez déjà agi, ou il n’y aurait pas deux cratères dans la Faille, et les Archives ne feraient pas état de brillants éclairs. Vous êtes le seul qui pourrait et voudrait le faire, et qui l’a déjà fait. Réfléchissez bien à cette proposition, et vous verrez que ce projet ne dépasse pas vos capacités ni celles de Ruth, mais qu’il est faisable. Et essentiel ! Trois explosions à notre époque n’auront pas l’effet désiré sur la trajectoire future de l’Étoile Rouge.

Jaxom poussa un profond soupir, comme s’il ressentait déjà le besoin de respirer pour un saut de mille huit cents Révolutions dans le passé. Son esprit refusait toujours d’examiner logiquement l’affaire.

— Puisque nous en sommes aux confidences, dites-moi pourquoi vous avez impliqué Sharra dans ce projet ? Surtout si vous savez que j’ai déjà réussi avant même que j’aie commencé.

— Vous réussissez, et il existe un moyen facile de le prouver, dit Siav, d’un ton presque suave.

— Non, expliquez-moi d’abord cette histoire de zibidis.

— L’extrapolation d’un examen approfondi des Fils permet de conclure que la vie existe dans le Nuage d’Oort, non pas telle que vous la connaissez, pas même sous la forme où elle nous est apportée par L’Étoile Rouge, mais sous de nombreuses formes particulières formant une écologie complète. Certaines de ces formes sont sans doute intelligentes, à en juger sur la complexité de leur système nerveux ; mais quand elles arrivent sur cette planète, elles ont perdu la plus grande partie de leur hélium liquide et ne sont plus que de « grossières mécaniques ». Ce sont ces formes de vie dégénérées qui arrivent à la surface de Pern ; elles ne vivent pas assez longtemps pour s’y reproduire, bien sûr, ni sur L’Étoile Rouge. Seules ces « grossières mécaniques » peuvent se reproduire sans hélium dans l’orbite de Pern. Mais si nous pouvions les contaminer, les infecter à l’aide de notre parasite modifié, ils pourraient le transporter avec eux pour détruire toutes les formes de vie similaires dans le Nuage d’Oort même, y compris, sans doute, les formes intelligentes. Alors, quoi qu’il arrive, Pern serait libérée de cette menace. C’est pourquoi il y a eu ces Longs Intervalles. Les zibidis modifiés que vous sèmerez – que vous avez semé depuis longtemps – à la surface de L’Étoile Rouge, deux fois dans le passé, et une fois dans l’avenir, infecteront le Nuage d’Oort quand L’Étoile Rouge le rencontrera, deux fois au cours de chacune de ses révolutions.

— Alors, je vais être aussi un porteur de maladie ? dit Jaxom, partagé entre l’indignation et la fureur devant l’audace de ce plan.

— Vous ensemencerez trois fois L’Étoile Rouge. C’est pourquoi il est si important de cultiver les zibidis modifiés. Il s’agit d’une triple tentative dans deux domaines différents.

— Mais si je dois faire sauter la planète hors de son orbite…

— La perturbation sera légère, et vous sèmerez les zibidis à distance suffisante de la Faille pour qu’ils survivent. Il y a de nombreux ovoïdes hôtes sur L’Étoile Rouge et dans l’espace.

— Maintenant, dites-moi comment vous pouvez me prouver que cet incroyable plan réussira – a réussi ?

— C’est très simple. Accédez au fichier qui vous donnera un graphique de l’orbite actuelle de L’Étoile Rouge.

Jaxom s’exécuta.

— Gardez cela sur le moniteur, dit Siav.

Jaxom pressa la touche adéquate.

— Maintenant, vous allez monter Ruth et aller à cinquante ans – Révolutions – dans l’avenir – en vous servant de la pendule comme référence.

— Personne ne va dans l’avenir ; c’est ce qu’il y a de plus dangereux.

— Seulement si des altérations du milieu se sont produites, répliqua Siav. Il n’y aura aucun changement dans la passerelle du Yokohama. Aujourd’hui, vous irez dans l’avenir, vous appellerez l’orbite sur l’écran et vous en tirerez un exemplaire imprimé. Puis, avec cette feuille, vous reviendrez et comparerez les deux graphiques. Les portes sont fermées à clé. Il est peu probable que quiconque vienne ici pendant votre absence.

Tout son bon sens protestait contre cette proposition. Et pourtant… ce serait un exploit que lui seul pouvait accomplir. Car il avait Ruth.

— Tu as entendu ce que dit Siav, Ruth ?

Oui. Étant donné ses assurances, et le fait qu’il ne risquerait jamais votre vie, Jaxom…

— Oh, toi ! fit Jaxom, dégoûté.

J’aimerais voir à quoi ressemble Pern dans l’avenir. J’aimerais savoir si l’avenir sera heureux.

Moi aussi, pensa Jaxom.

Puis, avant de trouver trop d’arguments contre ce projet téméraire et fou, il fit signe à Ruth de flotter vers lui.

— Naturellement, dit Siav, laissez dans la passerelle assez d’oxygène pour les cinquante prochaines années.

Jaxom eut un sourire lugubre.

— Je ne vais pas prendre de risque, Siav. Je vais enfiler ma combinaison spatiale.

Une fois prêt, il lut la date qu’affichait la pendule digitale et ajouta cinquante ans à la date : 2577. Cette image fermement gravée dans son esprit, il donna à Ruth l’ordre du transfert dans cette époque.

Je sais quand je vais, dit joyeusement Ruth, disparaissant dans l’Interstice.

Jaxom se mit à compter ses respirations, satisfait de constater qu’elles étaient lentes et régulières. À la quinzième ils se retrouvèrent dans la passerelle – qui, apparemment, n’avait pas changé. La vue est toujours la même, dit Ruth, désolé.

— En effet, dit Jaxom, surpris de retrouver le diagramme sur l’écran.

Mais la pendule digitale enregistrait cinquante Révolutions de plus que la dernière fois qu’il l’avait consultée. Il déboucla son harnais et se laissa flotter vers l’écran.

— Je suppose que j’ai laissé ça en prévision de ma venue, se dit-il. Il y a de l’air là-haut, Ruth ?

Oui, mais pas très pur.

Jaxom ôta ses gants et les posa sur la console. Il n’enleva pas sa combinaison, car il n’avait pas l’intention de s’attarder. Il tapa le code approprié et vit le curseur tracer une seconde orbite, déviant de la première de plusieurs degrés, et coupant l’orbite de la cinquième planète avant d’y pénétrer en spirale ! D’une main tremblante, il actionna l’imprimante et une feuille émergea – subtilement différente du papier dont il avait maintenant l’habitude. Beaucoup plus blanc, plus doux ! Bendarek avait vraiment amélioré la qualité de ses produits pendant ces cinquante Révolutions ! Puis il compara le diagramme à celui qu’il y avait sur l’écran.

— Hourra ! Siav, l’orbite de L’Étoile Rouge s’est déplacée ! Siav ?

L’estomac noué, couvert de sueurs froides, il répéta :

— Siav ?

Comment voulez-vous qu’il vous entende à cinquante Révolutions dans l’avenir, Jaxom ? dit Ruth d’un ton amusé.

— C’est vrai… je suppose. Sauf qu’il savait quand nous allions… dit Jaxom, toujours inquiet du silence de Siav. Je suppose que je suis devenu trop dépendant de lui. Mais il avait raison. Alors, nous voilà avec sa nouvelle folie sur les bras, Ruth !

Je ne trouve pas que ce soit une folie de faire en sorte que nous ne voyions plus jamais les Fils.

— Nous ne sommes pas encore sortis de ce Passage, même si c’est peut-être le dernier, dit Jaxom, quittant la console et s’accrochant au cou de Ruth pour se remettre en selle. La passerelle n’a pas changé… mais elle est étrangement silencieuse et désaffectée !

Je croyais que la vue aurait changé, dit Ruth, déçu.

Jaxom visualisa la pendule à la date de son présent, ajouta trente secondes pour prévenir un chevauchement, et Ruth disparut dans l’Interstice. Exactement quinze respirations plus tard, il se retrouva devant la pendule, qui avait avancé de trente secondes. Mais il se sentait très fatigué, et la robe de Ruth avait pris une teinte grisâtre.

— Alors ? fit Siav.

— J’avais dû laisser le graphique, parce qu’il était encore là à mon arrivée. Zut ! dit-il, considérant ses mains. J’ai laissé mes gants là-bas.

— Alors. Vous avez laissé vos gants alors.

Siav aussi pouvait jouer à ce jeu. Jaxom sourit.

— J’attendrai, et j’irai les récupérer… plus tard. Voilà ce qui est arrivé dans l’avenir. La variation est-elle suffisante pour vous, seigneur et maître ?

Il posa le graphique de cinquante Révolutions dans l’avenir devant le capteur, pour que Siav puisse voir et comparer.

— Oui, dit Siav, imperturbable, ce sera suffisant. Les explosions ont exactement réalisé les dislocations nécessaires. Jaxom, vos organes vitaux affichent des signes d’épuisement. Il faut manger des hydrates de carbone.

— Ruth est grisâtre, lui aussi. Il a plus besoin de manger que moi.

Vous auriez dû me prévenir que nous ferions cela aujourd’hui. Nous avons combattu avant, et je n’ai rien mangé depuis les wherries de la semaine dernière.

— Dès que tu seras reposé, mon cher cœur, tu pourras manger autant de wherries que tu voudras.

Alors, partons tout de suite. Je meurs de faim.

— Jaxom ? dit Siav tandis que le chevalier blanc ôtait sa combinaison. Passerez-vous à réalisation ?

— De votre plan insensé ? Je le dois, on dirait, puisque je l’ai déjà réalisé, non ?

 

Une joyeuse animation régnait au Fort de Ruatha, avec ses bannières multicolores claquant au vent automnal, et les foules venues de tous les coins du pays pour remplir l’immense terrain de campement près du champ de courses.

Après avoir été confirmé Seigneur de Ruatha, l’un des premiers actes de Jaxom avait été de relever l’élevage des coureurs. Les animaux qu’il avait produits depuis avaient de temps en temps gagné des courses importantes à d’autres Fêtes, et il espérait qu’aujourd’hui, courant chez eux, ils se comporteraient encore mieux.

Quittant le Yokohama, lui et Ruth s’étaient immédiatement transférés dans une prairie de montagne où le dragon blanc avait dévoré trois wherries et deux biches. Puis il était rentré en vol plané, émettant de temps en temps un rot repu, pour que Jaxom puisse trouver des nourritures plus consistantes que la poignée de baies cueillies pendant le repas de son dragon. Jaxom l’avait accompagné à son weyr, avait donné ordre au premier intendant rencontré de ne le réveiller sous aucun prétexte, pas même en cas de Chute inattendue, puis, après avoir pris à la cuisine du pain et du fromage qu’il avait consommé en marchant, il s’était mis au lit et endormi immédiatement.

Sharra avait dû le rejoindre pendant son sommeil car, lorsqu’il s’éveilla au point du jour, il la trouva nichée contre lui. Les joyeuses salutations des arrivants avaient dû le réveiller. Son odorat l’informa que les wherries tournaient déjà sur les broches, et son estomac l’informa qu’il fallait le remplir. Il devait avoir dormi un jour entier.

— Mmmm, Jax ? murmura Sharra d’une voix endormie.

— Oui, ma chérie, qui d’autre ? dit-il, se penchant pour l’embrasser. Tu m’as laissé dormir ?

— Hummm. Ruth a dit que tu étais très fatigué. Meer n’a voulu laisser entrer personne à part moi.

Jaxom s’assit, passant la main dans ses cheveux en bataille, au moment où Meer entrait, suivie de Talla, tous deux pépiant d’un ton interrogateur.

— Oui, on se lève, on se lève, les assura Jaxom.

Les deux lézards de feu disparurent, et ils entendirent bientôt un timide grattement à la porte.

— Entrez !

Il sentit l’odeur du klah dès l’entrée d’une servante, en pimpants habits de Fête, un plateau bien garni dans les mains.

Il but un gobelet de klah, cajola Sharra pour qu’elle partage son déjeuner, puis, suffisamment revigoré, il prit un bain et revêtit ses atours de Fête.

— Qu’est-ce que vous avez fait toi et Ruth, qui vous a tellement épuisés ? demanda Sharra tandis qu’il fermait sa nouvelle tenue de Fête, une robe splendide dans les tons d’or et de rouille qui lui allaient si bien.

— Eh bien, il y a eu la Chute, puis nous avons dû tester les nouveaux gants d’Hamian et… je suppose qu’il y a aussi la fatigue accumulée, termina-t-il avec un geste évasif. Et toi, tu es bien reposée ? demanda-t-il avec sollicitude, l’embrassant sur la nuque avant d’attacher le collier de topaze qu’il lui avait offert pour sa fête.

— J’ai fait les honneurs du Fort à nos invités du Fort de la Baie, au Seigneur Groghe et à ceux du Fort de Fort et ils m’ont dit d’aller me coucher de bonne heure et qu’ils feraient comme chez eux. Maître Robinton avait presque terminé sa première outre de Benden…

De bruyantes acclamations venant de la route les attirèrent à la fenêtre, et ils virent une grande troupe de cavaliers, portant les bannières de Tillek.

— Viens, il faut accueillir Ranrel, dit Sharra, le prenant par la main. Et il est grand temps que le Seigneur de Ruatha se montre un peu à ses Intendants et à ses serviteurs.

 

La Fête avait attiré des foules venues de tous les Weyrs, Forts et Ateliers. C’était un de ces rares jours où aucune Chute n’était attendue nulle part, et ce serait l’une des dernières Fêtes du Continent Septentrional avant que l’hiver ne rende les routes impraticables. Jaxom et Sharra, accompagnés de Jarrol et Shawan, défilèrent devant toutes les échoppes. Il régnait une animation exubérante et contagieuse. Les Harpistes se promenaient dans la foule, chantant et s’accompagnant à la guitare, des troupes d’enfants turbulents jouaient à leurs jeux préférés, des adultes formaient des groupes ou s’asseyaient aux tables entourant l’immense piste de danse où brasseurs et vignerons faisaient de bonnes affaires.

Au Fort, Jaxom et Sharra présidèrent un déjeuner donné en l’honneur des Seigneurs, Chefs de Weyr et Maîtres d’Ateliers présents. Robinton, Menolly et Sebell interprétèrent les dernières ballades, accompagnés par un orchestre que dirigea Maître Domick. Jaxom apprécia le repas long et détendu, tout en notant que les Seigneurs Sigomal, Begamon et Corman brillaient par leur absence – ce qui lui rappela la menace d’enlèvement.

Les courses se passèrent très bien, un sprinter ruathien gagnant la première, et d’autres terminant placés dans chacune des huit suivantes. Parmi les bêtes proposées à la vente, Jaxom et Sharra choisirent un petit coureur bien dressé pour faire faire ses premières armes à Jarrol, car ils n’avaient rien convenant à un débutant dans leurs écuries. Puis, après avoir commandé la selle et le harnachement à l’Atelier des Tanneurs, ils circulèrent parmi leurs invités, s’arrêtant pour bavarder avec tous les petits vassaux.

Vers le milieu de l’après-midi, le jeune Pell vint présenter sa promise à son seigneur et à sa dame, et Sharra accueillit chaleureusement la jolie brune, fille d’un vassal de Tillek. Rien dans ses manières ne pouvait faire supposer qu’il n’était pas content de son avenir de menuisier, surtout après que sa fiancée eut montré à Sharra et Jaxom le ravissant coffret qu’il avait confectionné pour elle.

Ruth, sa robe d’un blanc éclatant après un bon sommeil réparateur, avait émergé vers le milieu de la matinée, et prenait le soleil avec les autres dragons sur les crêtes de feu. Des centaines de bandes de lézards de feu voletaient au-dessus du Fort en pépiant joyeusement.

Sommeil réparateur, ou excitation de la journée, ou les deux, Jaxom se trouva en pleine forme. Il dansa plusieurs fois avec Sharra, et la prêta ensuite à N’ton puis à F’lar, tandis qu’il invitait Lessa. Pendant une pause, il s’assit à la table des Harpistes, avec Robinton, D’ram et Lytol et s’assura que le Maître Harpiste avait du vin à volonté. Une jeune et brune servante que Jaxom ne reconnut pas, servait exclusivement le Harpiste, lui apportant constamment à manger et réservant même quelques friandises à Zair.

Pas étonnant par conséquent que Robinton ressentît le besoin d’un petit somme, mais, occupé à faire danser les Dames des Forts, Jaxom remarqua seulement distraitement que Robinton était seul à sa table, la tête sur son bras, Zair endormi à côté de lui.

Ce fut Piemur qui découvrit que ce n’était pas Robinton, mais un homme habillé exactement comme lui – un mort. Et ce fut Piemur qui réalisa que Zair respirait à peine. Piemur eut la présence d’esprit de ne pas donner l’alarme, mais envoya Farli chercher Jaxom et Sharra, puis D’ram, Lytol et les Chefs du Weyr de Benden.

Cet homme est mort depuis longtemps, dit Sharra, frissonnant en tâtant sa joue glacée.

Robinton est malade ? murmura Lessa arrivant avec F’lar. Mais ce n’est pas Robinton !

Le soulagement fit immédiatement place à la fureur.

— Ainsi, ils l’ont quand même enlevé ! En plein milieu d’une Fête !

Lessa, Jaxom, F’lar et D’ram alertèrent leurs dragons.

— Ne donnez aucun signe de panique, dit Lytol comme ils se posaient silencieusement dans les ombres au-delà de la piste de danse. Décidons d’abord quoi faire, et qui cherchera où. Il y a assez de dragons pour couvrir toutes les possibilités. Pourquoi faut-il que ça arrive ici, où l’appareil de Siav ne porte pas jusqu’au Terminus ?

Sharra se penchait sur Zair.

— Il retrouvera Robinton, où qu’il soit. Allons, Zair !

— Tu as besoin de ta trousse médicale ? demanda Jaxom.

— Je l’ai déjà envoyé chercher, dit-elle l’air anxieux. Lessa, votre guérisseuse est-elle là ? Elle en sait plus que moi sur les soins à donner aux dragons et aux lézards de feu. Zair a été empoisonné, mais je ne sais pas avec quoi.

Jaxom prit un morceau de viande sur la table, le renifla, et éternua bruyamment. Sharra le lui prit des mains et renifla plus prudemment.

— C’est du fellis, annonça-t-elle, mais mêlé à autre chose pour en dissimuler le goût et l’odeur. Pauvre Zair. Il n’a pas bonne mine !

F’lar prit le gobelet de Robinton et but une petite gorgée qu’il recracha immédiatement.

— Il y a aussi du fellis dans le vin. J’aurais dû savoir que du vin seul ne terrasserait pas Robinton, dit-il, dégoûté.

Jaxom gémit.

— Je l’ai vu dormir, et j’aurais dû savoir qu’il ne dort jamais à une Fête…

Généralement, tout le monde s’endort avant lui, dit Lessa. Quelle avance peuvent bien avoir ces misérables ? Et où sont-ils allés ? Jaxom fit claquer ses doigts.

— Il y a des vigiles sur toutes les routes. Ils auront vu quiconque partait et dans quelle direction.

Mais tous les chevaliers-dragons revinrent peu après. Personne, avaient dit les vigiles, n’avait quitté la Fête, ni cavaliers, ni chariots.

Dites aux lézards de feu de le chercher, dit Ruth à Jaxom.

— Ruth conseille de le faire chercher par les lézards de feu.

— Ramoth vient de me dire la même chose, dit Lessa.

Le froufrou du soudain exode ailé couvrit même l’air endiablé qui encourageait les danseurs à se surpasser.

— Si nous annonçons la nouvelle, dit Lytol, nous aurons assez de monde pour fouiller toutes les terres du Fort d’une frontière à l’autre.

— Non, dit Jaxom. Cela déclencherait la panique ! Vous connaissez la popularité de Robinton. Ils l’ont enlevé depuis une heure, tout au plus. Ce n’est pas suffisant pour atteindre la côte.

— La montagne alors ? suggéra Lytol. Mais il y a tellement de grottes que nous ne pourrons jamais les fouiller toutes.

— Les lézards de feu le peuvent, et le feront, dit Piemur.

— Il n’y a pas tellement de chemins de montagne, dit Jaxom. Ruth et moi, nous allons commencer les recherches. Lytol…

Jaxom hésita, mais Lytol lui serra le bras.

— D’ram et Tiroth m’emmèneront. Je connais Ruatha aussi bien que vous, mon ami.

— Moi aussi, dit Lessa avec brusquerie.

— J’irai vers le nord-est jusqu’au Col de Nabol, dit F’lar.

— Nous avons besoin de chevaliers-dragons de Fort, dit Lessa.

— Et d’autres qui devraient suivre la rivière jusqu’à la mer, ajouta Lytol.

— Nous resterons ici avec les lézards de feu, dit Piemur à Sharra, le visage inondé de larmes. On le retrouvera, il le faut !

L’aube pointait quand les dragons, accompagnés de chevaliers du Weyr de Fort, s’avouèrent vaincus et rentrèrent à Ruatha. Quelques participants étaient réveillés et s’apprêtaient à rentrer chez eux, mais la plus grande partie de l’aire de la fête était occupée par des dormeurs qui cuvaient les excès de la nuit.

— Pas un seul chariot ne part sans être fouillé, dit Sharra à Jaxom. C’est une idée de Piemur.

— Et une bonne idée, dit Jaxom, prenant avec gratitude le gobelet de klah qu’elle lui tendait. Car il n’y avait personne sur les chemins, et je suis allé jusqu’au Lac de Glace, Ruth étant particulièrement vigilant au-dessus des parties boisées.

Quelqu’un avait jeté une couverture sur les épaules du mort. Piemur et Jancis s’étaient assis à côté, comme pour veiller sur le sommeil de leur maître.

— Nous avons trouvé plus sage de faire croire que c’est Maître Robinton, murmura Sharra. Sebell et Menolly sont au courant, naturellement, et les dix lézards de feu de Menolly ont cherché toute la nuit. Sebell est retourné à l’Atelier des Harpistes pour alerter tout le monde. Tu as entendu les tambours ?

— Impossible de faire autrement ! Asgenar et Larad connaissent les codes des harpistes, et ils parlaient de lancer une attaque contre Bitra.

— Ils n’auraient jamais été assez bêtes pour y emprisonner le Harpiste. Sigomal n’est pas stupide. Il sait que c’est le premier endroit auquel on pensera.

— C’est ce que Lytol leur a dit, mais ils ont des remords parce qu’ils ont été les premiers à avoir vent du complot. Larad dit qu’il aurait dû immédiatement demander des explications à Sigomal et l’engager à abandonner cette idée.

— Cela n’aurait servi à rien, dit Jaxom avec lassitude.

— Et pourtant, c’était une si belle Fête, dit Sharra, pleurant doucement contre son épaule.

Jaxom lui entoura les épaules de son bras, retenant lui-même ses larmes à grand-peine.

— Et Zair ? demanda-t-il, se rappelant soudain la petite créature.

— Ah oui, dit Sharra, se redressant et s’essuyant les yeux en reniflant. Il s’en remettra, dit Campila. Elle l’a purgé, et il avait l’air très embarrassé, ajouta-t-elle avec un petit sourire. C’est la première fois que je vois cette nuance dans les yeux d’un lézard de feu.

— Quand sera-t-il capable de nous aider à chercher son maître ?

— Il est très faible et en pleine confusion mentale. Je ne lui ai pas posé la question, parce que si Maître Robinton est comateux, même Zair ne pourra pas le localiser. Soudain, l’air s’emplit de lézards de feu très agités, glapissant et claironnant à pleines voix.

Ils l’ont trouvé ! s’écria Ruth, qui vint se poser près de Jaxom.

Jaxom avait enfourché son dragon avant de réaliser ce qu’il faisait, et Ruth décolla avec tant de précipitation qu’il faillit déséquilibrer son cavalier. D’autres dragons s’envolèrent tout aussi vite. Comme une flèche composée de nombreux corps, volant aile contre aile, les lézards de feu partirent vers le sud-est.

Comprends-tu où ils vont et qui sont les coupables ? demanda Jaxom à Ruth.

Ce n’est pas loin, et ils visualisent un chariot. On voit clairement ses traces.

Et Jaxom les vit, bien visibles à travers les champs récemment labourés. Les ravisseurs, très astucieusement, avaient dédaigné les routes et avaient pris à travers champs. Leur chariot devait être petit, sinon ils n’auraient pas pu manœuvrer dans la terre meuble et la rocaille. Les dragons aperçurent bientôt le premier coureur abandonné, couché sur le flanc et haletant, les pattes emmaillotées de linges pour assourdir ses pas. Dix minutes plus tard, une autre bête épuisée rendait l’âme, les flancs couverts d’estafilades témoignant qu’on l’avait cravachée sans merci.

Ruth, dis aux autres qu’ils doivent se diriger vers la mer. Que quelques chevaliers-dragons prennent les devants.

C’est ce qu’ils font.

Et Jaxom vit des vides s’ouvrir autour de lui, aux endroits où les dragons avaient disparu dans l’Interstice.

Mais les dragons sont plus rapides que les coureurs les plus véloces, même avec une avance de quelque six heures, et Jaxom aperçut enfin un petit chariot, cahotant sur la pente finale menant à la mer et au petit bateau à l’ancre, attendant sa cargaison clandestine. Les dragons avaient encerclé l’embarcation, et Jaxom voyait l’équipage sauter à la mer, tentant vainement d’éviter la capture.

Puis Ruth et le contingent de Benden fondirent sur le chariot.

Les trois hommes – deux sur le siège avant, l’autre allongé à l’intérieur et feignant d’être malade – tentèrent d’abord de jouer l’innocence.

Mais les lézards de feu s’intéressaient beaucoup plus à sa couche qu’ils égratignaient avec des claironnements de triomphe. Le « malade » fut jeté dehors sans cérémonie, son matelas roulé, et on arracha les planches du double fond. Et là, ils découvrirent Maître Robinton, le teint cireux et presque inanimé.

Ils le sortirent avec précaution, et l’étendirent sur le matelas déroulé pour l’occasion.

— Il a peut-être seulement besoin d’air, dit F’lar, étouffé dans ce compartiment et ballotté comme un paquet…

Il regarda les trois ravisseurs aux mains des chevaliers en furie. Au-dessus d’eux, les lézards de feu se préparaient à fondre sur les misérables, toutes griffes dehors.

— Nous avons besoin de Sharra, dit Lessa à Jaxom d’un ton pressant. À moins qu’Oldive ne soit encore à la Fête…

Jaxom avait déjà enfourché Ruth.

— Ne vous rencontrez pas en venant, Jaxom ! lui cria Lessa.

Malgré son anxiété et sa fureur, Jaxom reconnut la sagesse de cet avertissement ; mais il ne perdit quand même pas de temps à revenir avec Sharra et sa trousse médicale.

— Je crois qu’ils lui ont donné trop de fellis, dit-elle, plus pâle que le Harpiste. Il faut le ramener à Ruatha où je pourrai le soigner comme il faut.

Ils installèrent le corps avachi du Harpiste sur Ruth, entre Jaxom et Sharra. En arrivant à Ruatha, N’ton les attendait dans la cour avec Maître Oldive, et Jaxom sut ainsi que le Chef du Weyr de Fort avait pris le risque de remonter le temps pour aller chercher le guérisseur.

— Tiens bon, Sharra, lui dit Jaxom. Ruth va nous déposer directement dans notre chambre.

— Est-ce qu’il tiendra…

Elle s’interrompit, car ils avaient émergé dans leur chambre, Ruth repliant vivement ses ailes, s’accroupissant et parvenant à ne renverser que quelques meubles.

Le temps que N’ton et Oldive les rejoignent, ils avaient déshabille et couché le Harpiste dans leur lit. Sharra lui tint la tête, et Maître Oldive lui vida une fiole dans la gorge.

Puis il lui examina les yeux et écouta son cœur.

— Il lui faut de la chaleur, dit le Maître Guérisseur, mais Sharra le bordait déjà de fourrures. Il a subi un choc terrible. Qui sont les coupables ?

— Nous découvrirons qui est derrière tout ça. Les ravisseurs avaient presque atteint la plage, dit Jaxom. Un bateau attendait pour l’emmener Dieu sait où.

— Nous aurons bientôt la réponse, dit N’ton. Maître Robinton se remettra, n’est-ce pas, Maître Oldive ?

— Il le faut, dit Sharra avec ferveur, s’agenouillant près du lit. Il le faut.

 

Tous Les Weyrs De Pern
titlepage.xhtml
McCaffrey, Anne [La ballade de Pern T11] Tous les Weyrs de Pern_split_000.htm
McCaffrey, Anne [La ballade de Pern T11] Tous les Weyrs de Pern_split_001.htm
McCaffrey, Anne [La ballade de Pern T11] Tous les Weyrs de Pern_split_002.htm
McCaffrey, Anne [La ballade de Pern T11] Tous les Weyrs de Pern_split_003.htm
McCaffrey, Anne [La ballade de Pern T11] Tous les Weyrs de Pern_split_004.htm
McCaffrey, Anne [La ballade de Pern T11] Tous les Weyrs de Pern_split_005.htm
McCaffrey, Anne [La ballade de Pern T11] Tous les Weyrs de Pern_split_006.htm
McCaffrey, Anne [La ballade de Pern T11] Tous les Weyrs de Pern_split_007.htm
McCaffrey, Anne [La ballade de Pern T11] Tous les Weyrs de Pern_split_008.htm
McCaffrey, Anne [La ballade de Pern T11] Tous les Weyrs de Pern_split_009.htm
McCaffrey, Anne [La ballade de Pern T11] Tous les Weyrs de Pern_split_010.htm
McCaffrey, Anne [La ballade de Pern T11] Tous les Weyrs de Pern_split_011.htm
McCaffrey, Anne [La ballade de Pern T11] Tous les Weyrs de Pern_split_012.htm
McCaffrey, Anne [La ballade de Pern T11] Tous les Weyrs de Pern_split_013.htm
McCaffrey, Anne [La ballade de Pern T11] Tous les Weyrs de Pern_split_014.htm
McCaffrey, Anne [La ballade de Pern T11] Tous les Weyrs de Pern_split_015.htm
McCaffrey, Anne [La ballade de Pern T11] Tous les Weyrs de Pern_split_016.htm
McCaffrey, Anne [La ballade de Pern T11] Tous les Weyrs de Pern_split_017.htm
McCaffrey, Anne [La ballade de Pern T11] Tous les Weyrs de Pern_split_018.htm
McCaffrey, Anne [La ballade de Pern T11] Tous les Weyrs de Pern_split_019.htm
McCaffrey, Anne [La ballade de Pern T11] Tous les Weyrs de Pern_split_020.htm
McCaffrey, Anne [La ballade de Pern T11] Tous les Weyrs de Pern_split_021.htm
McCaffrey, Anne [La ballade de Pern T11] Tous les Weyrs de Pern_split_022.htm